El guelta
La première rivière que j’ai connue, je devais avoir une dizaine d’années. Elle contournait mon village natal pour aller rejoindre la mer quelques kilomètres plus loin. Un petit oued, rivière en hiver mais pratiquement ruisseau en été. Mince filet d’eau que quelqu’un eut l’astucieuse idée de détourner de son cours par un amas de terre et de pierraille pour en faire, à l’orée du village, dans un escarpement rocheux, un étang. Suffisamment profond pour permettre aux enfants de s’y ébattre sans danger, de noyade s’entend. Pour ce qui était des maladies, Dieu était censé préserver ses créatures...
Ce semblant de piscine improvisée avait un nom, on l’appelait la Guelta. Un lieu interdit par les parents mais l’endroit où tout garçon du village se devait de se rendre pour faire preuve de virilité en plongeant dans l’eau et barboter sur quelques mètres. Il fallait alors trouver l’occasion et le mensonge approprié afin d’éviter la fessée si on se faisait prendre. Ce ne fut pas mon cas...
Avec un groupe de camarades dont certains, comme moi, non adoubés, nous sacrifiâmes à l’école buissonnière un après midi de printemps. Cérémonial courant qui complétait la transgression, valorisant un peu plus la consécration du gamin “sans peur”.
On pataugea une petite heure dans cette mare en short puis après s’être séchés dans la chaleur ambiante, nous étions retournés vers la porte de l’école pour la fin de classe. Malheureusement pour moi, mon père, en congé ce jour là, m’y attendait déjà. Il remarqua mon absence à la sortie et mon instituteur lui apprit qu’il me pensait malade.
Sans me manifester, j’ai couru à la maison dans l’espoir de convaincre ma mère de me couvrir. En vain. J’ai eu droit à une mémorable correction mais au delà des larmes, je me sentais fier d’être un petit homme...