momospleen

la marche du temps

Tout avait commencé au détour d’une brocante où il se promenait, seul, tuant le temps, vaquant au gré des stands, oisif, dans l’attente de la fin de la messe dominicale qui libèrerait sa femme, censée le retrouver, après l’église, au bar du marché. Un lieu incontournable où convergeaient, indifféremment, les turfistes du dimanche et les libres penseurs, quelquefois solitaires, comme lui, exemptés du recueillement compassé  qui fixaient l’horloge sur le mur en s’abreuvant, à petites lampées, au demi posé devant eux. Sablier liquide qui se vide à mesure que les minutes s’égrènent.

Bien que des années soient passées, nombreuses sûrement, une vingtaine peut être, il arrive à se remémorer exactement sa rencontre avec le temps. Une passion que rien n’a pu entamer. Née lorsqu’il a croisé, sur le stand d’un brocanteur à la sauvette, la copie parfaite de la pendule de ses grands parents alors disparus depuis longtemps. Sans hésiter, sans marchander, ce qui aurait été difficile au vu de l’intérêt évident qu’il avait manifesté pour l’objet, il paya, l’enlaça, se l’appropria pendant que le vendeur comptait ses billets, sourire narquois aux lèvres, ravi de l’aubaine.

Au bar, où il rejoignit Monique, il fut accueilli fraîchement. Il avait du retard et elle n’a jamais été patiente. Encore moins quand elle le vit, étreignant amoureusement ce qu’elle nomma, de suite, la chose. Elle la prit donc en grippe au premier regard, reconnaissant, intuitivement, la rivale. Comble de ridicule, pour elle, si attentive au respect des convenances et soucieuse d’éviter d’attirer l’attention dans les lieux publics, la pendule, comme pour la narguer, déclencha un coucou de fausset, au moment précis où un silence relatif s’instaurait dans la salle. Le couinement indéfinissable de la vieillerie provoqua quelques éclats de rire et c’en fût trop. Elle se leva brusquement, rouge de honte, saisit son sac et s’élança vers la sortie.

Il la suivit, tout penaud quoique ravi quelque part d’avoir pu la déstabiliser. Ce qu’il s’avoua bien plus tard.

Ce qui s’ensuivit n’a rien de surprenant. Il est difficile de faire coexister deux amours dans la durée surtout quand l’un est vindicatif et se dilue au fil des jours alors que l’autre s’installe, inanimé, sollicitant toutes les attentions, au quotidien, pour retrouver sa vigueur et son éclat d’antan.

Cette polygamie, assez particulière, lui a laissé d’impérissables souvenirs de situations cocasses mais qui l’étaient moins à l’époque.

Cette fameuse nuit, par exemple, où la vie à la maison avait repris son cours, apparemment normal. La soirée ayant été passablement arrosée et sa tendre moitié suffisamment imbibée pour l’aguicher, il sacrifiait donc à la performance physique que nécessite le devoir conjugal, exercice rythmé par les grincements du lit commun et les grognements de sa compagne, visiblement réceptive à des ébats peu courants dans la lassitude et la monotonie qu’engendre la routine matrimoniale. Au paroxysme de cette inhabituelle communion dont l’issue s’annonçait très proche, un bruit incongru, intrusion intempestive au cœur d’un rituel si bien engagé, vint perturber la mécanique de l’acte : un coucou à répétition, les coucous de minuit, douze jets d’un air froid, pour ne pas dire glacial, qui rafraîchirent considérablement l’atmosphère. Son excitation retomba inexorablement à son expression minimale, éteinte sous le regard courroucé et dépité à la fois de Monique. Elle se redressa brusquement, le rejetant sur le coté, se saisit de la couette, de l’oreiller et quitta la chambre sans un mot.

Il ne comprenait pas ce qui arrivait. Il astiquait l’horloge tous les jours depuis un mois, utilisant tous las dégrippants possibles pour remettre en route le dispositif du coucou, sans succès. Et voila qu’au moment où il s’y attendait le moins, la Chose reprenait vie. Ahurissant ! Il décida de la rejoindre au salon où il l’avait accrochée au mur.

Monique s’était enfermée dans la chambre d’ami. Il n’osa pas aller s’excuser. De toute façon, il était aussi frustré qu’elle.  

             


18/07/2011
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