momospleen

Reclus

Il vit reclus. Enfermé dans ce très grand appartement de la rue de la République. Très grand pour un homme seul, s’entend. Entendre est aussi, pour lui, un exercice assez compliqué quand son sonotone pose problème et que le silence, dans lequel il se retrouve confiné, ne laisse percer qu’un bruit confus qui lui rappelle le brouhaha des jonques sur le Mékong.

 Dans ce bel appartement donc, il vivait de souvenirs, se traînant d’un fauteuil à l’autre, d’une photo jaunie à une page de journal qui ne l’était pas moins, au gré des mouvements que son arthrose chronique lui permet.

 Cependant, sa mémoire reste vivace et, s’il note quelque fois, en quelques mots, de petites phrases sur son carnet d’idées, c’est surtout pour revivre, pour de courts moments, la satisfaction qu’il éprouvait, à l’époque, des réparties cinglantes dont il abusait auprès de son entourage, subalternes et concubines, jeux d’esprit auxquels il pense exceller mais jeux de mots qui n’amusaient que lui ; Il l’apprit par la suite. Ce qui ne l’empêche pas d’y recourir encore, sans auditoire pourtant.

Il souffre, aussi, d’une sinusite et use une quantité impressionnante de mouchoirs en papiers, banals mais plus commodes que ceux en dentelles, légués par sa défunte mère.

Il avait cessé de fumer depuis quinze ans, plaisir abandonné car source d’un début d’emphysème qui, selon son médecin, le menait droit vers la tombe. Un petit briquet sur le guéridon du salon en demeurait l’unique trace.

  Ancien d’Indochine, il en avait ramené pas mal de babioles. Entre autres, une boucle d’oreille ébréchée, vestige d’un monde où les femmes objets étaient sa marotte nocturne.

Aujourd’hui, perclus de rhumatismes, vieux et rabougri, incapable de se mouvoir sans sa canne, il trouve, pourtant, en puisant dans le tréfonds de ses ressources physiques, l’énergie nécessaire pour prendre ses clefs, ouvrir puis refermer sa porte, descendre les escaliers en veillant bien à s’accrocher à la rampe et enfin aboutir dehors, dans la rue.

La nuit. Bienveillante et éternelle compagne, complice de toutes ses turpitudes. Il s’y engage, clopinant, distinguant difficilement son chemin malgré les lampadaires et ses lunettes à double foyer. Il se dirige vers les remparts où il sait que Huan, sa troisième concubine, tout juste âgée d’une trentaine d’années, l’accueillera avec la récolte de la journée qu’elle lui remettra humblement, le remerciant, dans son jargon, de tous les bienfaits dont elle lui était redevable, lui, qui l’avait ramené dans ce pays, terre d’abondance où on pouvait manger autre chose que du riz…

Il vérifiera quand même le montant.



28/12/2010
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