momospleen

                                    Rencontre 1973

M'y voilà. « Café de France ». Bientôt dix heures. L'endroit est bondé pour un dimanche matin. Il est vrai qu'en cette belle journée printanière, les terrasses des cafés sont bien plus attractives que les travées humides et feutrées des églises. Je me demande pourquoi elle a choisi ce lieu pour une première rencontre ? Peut-être pensait-elle à un temps pourri, à la grasse matinée qui caractérise le repos dominical du commun des mortels ? En tous cas, je l'imagine mal rechercher la foule pour un rendez-vous galant.

L'aboutissement d'une correspondance soutenue, pendant longtemps. A peu près six mois que nous nous écrivons. Une petite annonce banale, dans un quotidien régional, deux cent francs de frais d'agence et une adresse. S'ensuivit une relation épistolaire qui atteint son paroxysme, aujourd'hui. Enfin !

Je la connais à travers ses lettres, elle me connais aussi. Même si aucune photo n'est venue illustrer nos visages. Préférant le mystère de l'inconnu. Ce moment où nous sommes censés nous découvrir ; elle, dans sa chatoyante robe d'été imprimée de fleurs bleues ; moi, mince et élancé, presque une gravure de mode si ce n'est mon crâne, quelque peu dégarni et mon âge, quelque peu avancé.

Je jette un coup d'œil appuyé sur les femmes en terrasse. Aucune ne correspond à mes représentations. Je les trouve toutes insignifiantes, indignes de mon attention, vouée entièrement à ma belle.

Je suppose qu'elle doit être à l'intérieur, me dirige donc vers l'entrée de l'estaminet. Au moment où je m'y engage, je croise une femme qui en sort. Elle porte la « robe », la fameuse « robe ».  Elle lui va si bien que j'évite son regard, ignore son sourire et me presse vers les toilettes.